Homélie pour l’ouverture du Chapitre; + Laurent PERCEROU Evêque de Moulins
Qui est le plus grand ? C’est la question qui agite les apôtres sur la route de Capharnaüm et c’est une question qui agite l’humanité depuis toujours ! Et encore aujourd’hui… Qu’entendons-nous en effet ? Que lisons-nous ? Sois le plus riche, sois le plus beau, la plus belle ! Deviens célèbre ! Autant d’invitations à être « plus » que les autres qui vient polluer les relations humaines que ce soit dans le monde de l’entreprise, dans les familles, dans notre Église et dans tous ces lieux où nous nous retrouvons...
Vouloir être le premier, le plus grand, le plus beau, le plus fort… Nous en connaissons les risques ! St Jacques nous les a donnés dans la seconde lecture : on convoite la place de l’autre, la richesse de l’autre, la force ou l’intelligence de l’autre, on en est jaloux, on veut être meilleur que lui et c’est la guerre, le conflit et donc l’injustice.
Mais, au fait, est-ce mal de vouloir être le premier ? Parce qu’après tout, des jeunes ici présents pourraient dire « à quoi bon faire des études et valoriser ses compétences ? », et de même pour les adultes : « faut-il accepter une promotion professionnelle ? Une responsabilité dans une association, un syndicat, dans la paroisse, dans la l’Institut des Oblates du Cœur de Jésus ? »
Vous l’aurez sans doute noté : Jésus ne dit pas à ses apôtres qu’il est mal de vouloir être le plus grand, de vouloir être le premier ! Mais il dit : « Si quelqu’un veut être le premier, qu’il soit le dernier de tous et le serviteur de tous » Et pour illustrer son propos, il place un enfant au milieu d’eux, il l’embrasse et leur dit : « celui qui accueille en mon nom un enfant comme cet enfant, c’est moi qu’il accueille ».
L’enfant… Un petit d’homme, un petit bout de femme, fragile et dépendant, qui ne peut se défendre, qui ne peut vivre sans la présence d’un adulte à ses côtés, qui a besoin de beaucoup d’amour pour grandir. Si Jésus place au milieu des apôtres un enfant, il faut reconnaître à travers lui, non seulement les enfants mais tous ceux qui sont des « petits », les laissés pour compte, toutes celles et tous ceux qui n’ont pas les moyens de se hisser aux premières places, qui sont dépendants. Vouloir être le premier, c’est alors accepter d’occuper cette place non pas d’abord pour briller mais pour que, grâce à nous, celui que l’on oublie, que l’on ne voit pas, se découvre aimé, reconnu et puisse se donner à son tour pour les autres.
Et ce n’est pas pour rien que la discussion des apôtres pour savoir qui d’entre eux était le plus grand est précédé par l’annonce de la résurrection : « le Fils de l’homme est livré aux mains des hommes ; ils le tueront et, trois jours après sa mort, il ressuscitera. »
Consacrées dans l’institut des Oblates du Cœur de Jésus, s’ouvre aujourd’hui votre Chapitre. Je sais que toutes vous l’avez préparé, au cœur de vos communautés disséminées sur tous les continents et personnellement, chacune, dans la prière. Durant ces jours, vous allez prendre le temps d’échanger et de discerner au souffle de l’Esprit Saint les chemins que le Seigneur vous ouvre pour les années à venir. Mais l’horizon de ces chemins, vous le possédez déjà, il est celui présenté par Jésus dans l’Evangile de ce jour : c’est celui du don de sa vie à sa suite, celui du Cœur de Jésus débordant d’amour pour les hommes, de ce cœur dont coula en abondance, et dans un même flot, le sang d’une vie donnée par amour et l’eau de la nouvelle naissance dans l’Esprit. C’est donc cet horizon qu’il vous faudra viser tout au long de ces temps d’échange, de prière et d’écoute de la Parole de Dieu.
La mission particulière de la vie consacrée, au-delà des charismes propres à chaque congrégation, à chaque institut, est précisément de vivre, au cœur de l’Église et du monde, cette injonction de Jésus qu’il a vécu le premier en nous offrant son cœur transpercé : « Si quelqu’un veut être le premier, qu’il soit le dernier de tous et le serviteur de tous. » Les consacrés, à la suite et à la manière du Christ, reçoivent cette grâce particulière de pouvoir regarder l’Eglise et le monde avec ses yeux à Lui, le Tendre et le Miséricordieux, afin de toujours mieux les aimer et les servir. N’est-ce pas ce que fait le Christ dans la scène de ce jour, lorsqu’il porte son regard sur cet enfant, petit et sans doute invisible pour les adultes qui l’entouraient ? Quel est donc ce regard que la vie consacrée est appelée ainsi à porter sur l’Eglise et le monde ?
C’est le regard de Jésus vers son Père des cieux pour recueillir tout l’amour nécessaire afin de vivre la mission reçu de Lui : « Je leur ai fait connaître ton Nom et je le ferai connaître encore, pour qu’ils aient en eux l’amour dont tu m’as aimé. ». C’est le regard de Jésus capable de desceller au cœur de l’insignifiance, les germes du Royaume qui vient, ainsi du regard qu’il pose sur la piécette jetée dans le tronc du Temple par une pauvre veuve : « Père je te rends grâce, ce que tu as caché aux sages et aux savants, tu l’as révélé aux tout-petits. » C’est le regard du Jésus lumineux de la tendresse du Père, capable de retourner les cœurs les plus endurcis, ainsi du regard qu’il pose sur Zachée, le collecteur d’impôt malhonnête : « Aujourd’hui le salut est entré dans cette maison, car toi aussi tu es un enfant d’Abraham ! » C’est le regard de Jésus marqué par l’émotion, compatissant aux souffrances des hommes, ainsi de ce regard mouillé de larmes devant la tombe de son ami Lazare : « Si tu crois, tu verras la gloire de Dieu. » C’est le regard de Jésus en croix obscurci par la souffrance et qui, pourtant, trouve la force de se tourner vers le « bon larron », crucifié avec lui : « Aujourd’hui, tu entreras avec moi en paradis ! ».
Consacrées dans l’institut des Oblates du Cœur de Jésus, vous vivez en communauté au cœur des quartiers, des villages. Certaines d’entre vous sont engagées dans une profession, dans le réseau associatif, au service des enfants, des jeunes, des souffrants, dans l’animation des communautés chrétiennes… Dans tous ces lieux vous posez le regard d’amour de Jésus sur celles et ceux qui partagent votre quotidien en vous mettant à leur service, afin qu’ils puissent grandir dans leur vocation d’enfants de Dieu. Que ce Chapitre vous permette de toujours mieux poser ce regard de Jésus sur les frères et sœurs que vous servez dans tous vos lieux de mission.
Et cette mission qui est la vôtre, vous êtes appelés à la vivre non pas à la place des autres baptisés mais bien pour rappeler à tous qu’ils ont, dans leur vocation particulière, à se laisser toucher par le regard de tendresse du Fils de Dieu et à le porter sur le monde, afin de témoigner et d’annoncer qu’en Christ réside la source du Salut. Alors, en cette Eucharistie, rendons grâce pour le don de la vie consacrée à l’Église et au monde. Confions au Seigneur votre Chapitre, dans l’action de grâce pour tout ce qui a été semé et moissonné depuis le dernier chapitre. Et nous tous, frères et sœurs, conscients de l’importance du don de la vie consacrée pour notre monde et notre Eglise, n’ayons pas peur de la proposer comme chemin de bonheur. Soutenons fraternellement la vie consacrée, et prions pour elle.
+ Laurent PERCEROU
Evêque de Moulins